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2021/06/18

Peio Etxeleku : « Il y a un malaise psychologique qui est palpable »

Quel regard la nouvelle génération d’élus du Pays Basque a de ce regain de tensions au Pays Basque ? Peio Etxeleku, président d’EAJ-PNB et élu de l’agglomération Pays Basque, milite pour que l’Etat entende les revendications du Pays Basque en matière de langue, de logement et surtout de vivre-ensemble, garants de la paix.

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Peio Etxeleku : « Il y a un malaise psychologique qui est palpable »

ARGAZKIA JAITSI

La manifestation populaire du 26 mai en faveur de la langue a été un grand succès à Bayonne. Les participants se sont montrés très déterminés pour la sauvegarde de l’enseignement en immersif face à la décision du Conseil constitutionnel. Cette manifestation a été bien sûr pacifiste. Mais ne craignez-vous pas que si l’Etat ne revient pas ou ne peut pas revenir sur cette décision, on assiste à une radicalisation de certains défenseurs de la langue ? 

Les défenseurs de la langue sont pacifistes et sont pour le débat démocratique mais il est vrai que la société basque subit en ce moment des phénomènes qui ont une forme certaine de violence. Le rejet de la principale clef de transmission de la langue, qu’est l’enseignement immersif, est une forme de violence. L’augmentation vertigineuse des prix de l’immobilier qui fait qu’en une seule année, le territoire a connu l’équivalent d’une hausse qui correspond à une quinzaine d’années dans un contexte normal, est aussi une autre forme de violence. Certains jeunes peuvent se sentir rejetés dans leur identité la plus profonde par la langue basque et puis physiquement parce qu’ils n’ont plus les moyens d’habiter sur leur territoire. La crainte existe. La réponse violente est certainement une mauvaise réponse à une vraie problématique. Il faut y travailler de façon très approfondie et en concertation. 

Quand on parle immobilier, pour être bien clair, ça n’est même pas une question de pouvoir être propriétaire qui est un rêve totalement inaccessible, mais même de se loger. Il y a des familles basques qui mettent leurs enfants dans les ikastolas et qui sont obligés d’habiter au-delà de Tarnos voire au-delà de Labenne, et qui sont obligés d’organiser des convois pour que leurs enfants puissent rejoindre leurs écoles… 

C’est cela. Il n’est pas à exclure, dans les années qui viennent, que les parents bascophones qui souhaitent transmettre leur langue à leurs enfants soient amenés à créer des ikastolas en-dehors du Pays Basque, dans le du sud des Landes, parce qu’il sera devenu impossible de se loger et de louer à des niveaux de loyer décents pour des foyers de « classe moyenne ». 

Comment peut-on canaliser ce problème autour de l’immobilier ? Est-ce qu’il y a des solutions évidentes et fortes ? Ou est-ce que le politique est dépassé ? 

Il y a une certaine forme de débordement. Je pense qu’en plus, le plan local de l’habitat qui vient d’être adopté et qui s’est inspiré d’un diagnostic qui avait pris fin au début de l’année 2020, n’a pas pris en compte l’impact de cette année très particulière correspondante à l’année covid 2020. Il est important de remettre ce sujet sur l’établi pour qu’en concertation avec tous les acteurs, on puisse entrevoir des solutions inédites et innovantes, avec une prise en main politique beaucoup plus ambitieuse que celle qui existe aujourd'hui. On a beaucoup trop laissé aux opérateurs privés le soin d’apporter des solutions aux problématiques de logement, en construisant trop, sans répondre pleinement aux besoins de la population locale. Je fais partie des entrepreneurs qui ont un certain attachement à l’économie de marché mais il est clair que dans ce cas-là, la logique du marché pur et dur a entraîné un tel emballement que c’est à la puissance publique de reprendre les choses en mains pour avoir une certaine forme de maîtrise. Sinon on va vers des lendemains qui sont inquiétants. 

Nous avons pourtant des outils formidables : Habitat Sud Atlantic, le COL, Office 64… Nous avons aussi l’EPFL (établissement public foncier solidaire). Les outils existent. On sait qu’au niveau de l’EPFL, il manque des moyens par rapport à ce qu’ils aimeraient faire. Tous ces organismes sont en mesure de faire plus si on adaptait dans le budget de l’agglo certaines décisions. Vous êtes élu à l’agglo, et animateur d’un pôle. Est-ce que vous pensez que cette problématique du logement doit être la première des priorités dans les années à venir ? 

Il est clair que le logement monte haut dans l’échelle des priorités à traiter. Aujourd'hui, nous sommes dans un niveau d’urgence absolue. On parle de la création d’un Batera du logement, une forme de « Grenelle du logement » à la sauce basque. Il est important que tous les acteurs soient autour de la table pour imaginer des solutions qui sont inédites. Il faut être particulièrement innovant et ambitieux. Vous avez raison, des outils existent. Il faut certainement leur donner des moyens qu’ils n’ont jamais connus jusqu’à aujourd'hui, en mobilisant tous les leviers financiers que la puissance publique nous autorise à obtenir, y compris la Caisse des dépôts et consignations, l’Etat, etc. On est dans une forme de « quoi qu’il en coûte » pour faire en sorte que la société basque garde sa cohésion. On ne peut pas devenir, dans certains coins, une zone à dominante de résidences secondaires de millionnaires, en organisant le rejet des populations locales vers des contrées qui ne sont pas les leurs. 

La question des prisonniers basques est en suspens. Elle nous rappelle un temps pas si éloigné où il y avait une vraie théorie de l’usage de la violence comme arme politique. Ce sont des thèses politiques qui sont entièrement dépassées aujourd'hui ? Avancer sur la réconciliation et sur cette question des prisonniers, c’est un pas vers l’apaisement ? 

Oui, c’est clair. La perception que j’ai de la situation actuelle, c’est qu’une certaine forme de feu peut couver sous les braises. Il est urgent de définitivement éteindre l’incendie. Des gestes forts et accélérés sur la question des prisonniers et des droits humains font partie des éléments de réponse, de la même façon qu’il faut prendre en compte la situation des victimes et la douleur qui a été engendrée par ce long épisode de violence que le Pays Basque a connu. 

On sait que ce petit pays a très longtemps été épargné par les violences et les incivilités, mais avec la pandémie, on a assisté des explosions de violence notamment à l’encontre de personnes rappelant les gestes-barrières. On se souvient du cas extrême du chauffeur de tram’bus. La société basque est-elle devenue plus violente ? Là encore, quel rôle les politiques, qui sont des pères et des mères de famille, peuvent avoir pour apaiser la situation ? 

Il est important d’activer tous les lieux et tous les moments de vivre ensemble qui font peut-être encore, plus qu’ailleurs, l’originalité de ce territoire. Le fait d’être confiné et de ne pas avoir de moments de sociabilité et de fêtes, peuvent favoriser des gestes incontrôlés. Il y a un malaise psychologique qui est palpable. Les politiques doivent jouer leur rôle comme tous les acteurs de la société civile pour pouvoir rappeler à la raison des gens qui peuvent être à la dérive. Je crois à la vertu de la pédagogie. Le Pays Basque a su démontrer – et les fêtes de Bayonne en sont l’illustration parfaite – que l’on peut rassembler différentes strates de la société autour de la convivialité et des moments d’échanges forts. C’est aussi cela qui permet de canaliser les tendances plus basses de l’homme. Il faut revenir à ces moments-là. C’est facile à dire mais c’est plus difficile à mettre en œuvre. Le Pays Basque n’échappe pas à l’évolution plus fondamentale des sociétés occidentales où on constate de la violence, une violence qui se retrouve parfois aussi du côté de la puissance publique. Cela engendre des phénomènes de rejets mutuels. 

Avec les flux touristiques très importants que l’on attend cet été et avec le fait que beaucoup de résidences secondaires vont être présents, on peut s’attendre à des actions, éventuellement des actions violentes. Bien entendu, vous appelez au calme et à la raison mais est-ce que l’on peut comprendre et imaginer qu’il y ait des actions de revendication et de colère pacifiques mais fortement symboliques cet été ? 

On ne peut que déplorer la mise en place d’actions vraiment violentes. Par contre, il est important que nous soyons en mesure d’entendre cette colère et de co-construire avec elle les solutions qui pourraient permettre un meilleur vivre-ensemble demain. A ce titre, notre mouvement politique va organiser dans les prochaines semaines un atelier où nous allons faire participer plusieurs personnes que nous avons identifiées comme étant expertes de ces questions, pour pouvoir réfléchir à des solutions programmatiques concrètes et précises qui seront mises sur la table pour alimenter le débat et travailler à la mise en œuvre de ces solutions. 

Propos recueillis par Jean Philippe Segot

 

Article paru dans la Semaine du Pays Basque n°1433, le vendredi 11 Juin 2021

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