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20/06/2023
Mathieu Membrède : « Pas de logements qui laissent les pauvres dans leur condition de pauvre » (revue Lema 232)
Mathieu Membrède, président du nouvel Herri Biltzar Lapurdi barnekalde, élu local à Louhossoa est également un artisan aguerri dans la menuiserie et la charpente. A l‘heure où la sobriété thermique s‘impose comme une nécessité face au changement climatique, Mathieu nous livre son double regard de professionnel et d‘élu sur la mise en place concrète de la rénovation thermique des bâtiments.
La lutte contre le changement climatique nécessite que notre modèle de développement soit plus sobre en énergie, notamment fossile. L’objectif de la neutralité carbone en 2050, qui renforce l'objectif facteur 4 déjà présent dans la loi, nécessite de redoubler d’effort pour réduire la consommation d’énergie et développer les énergies renouvelables, dans tous les secteurs : bâtiment, transports, activités productives agricoles, industrielles ou tertiaires, etc. L'amélioration des performances énergétiques du parc de bâtiments passe par la réduction des besoins en énergie des bâtiments, le recours à des systèmes efficaces pour limiter la consommation d'énergie et enfin le déploiement des énergies renouvelables. Seule une approche combinée de ces trois axes permettra d'atteindre les objectifs que la France s'est fixés. Au niveau national, le secteur du bâtiment représente près de 45 % de la consommation d’énergie finale et 27 % des émissions de gaz à effet de serre : sa contribution à la transformation de notre modèle de développement pour la sobriété énergétique est impérative.
Quelles sont les principales déficiences des bâtiments « passoires thermiques » ?
Le terme imagé de "passoire thermique", aussi appelé passoire énergétique, désigne des logements particulièrement énergivores. En somme, ce sont des bâtiments qui consomment énormément de chauffage et/ou sont très mal isolés. Mais attention ! Les passoires thermiques ne sont pas forcément des logements insalubres, il s'agit simplement de logement avec un mauvais DPE (Diagnostic de Performance Energétique) (F et G).
Dans les années postérieures de l’après-guerre jusqu’au 1er choc pétrolier, l’enjeu majeur était de reconstruire le pays. La question énergétique ne se posait pas. Il fallait construire vite et en quantité. Le recours à la construction en parpaing et au béton permettait cela au dépend des constructions alternatives : bois ou paille. Peut-être que l’histoire des trois petits cochons n’y est pas pour rien ... Depuis les techniques d’isolation et la réglementation ont évolué.
C’est au milieu des années 70 que les premières règles sur l’isolation ont vu le jour, suivies de près par la première loi sur les économies d’énergie en 1978. Avec le recul, on se rend compte que ces bâtiments de construction traditionnelle nécessitent des besoins de rénovation énergétiques importants. A ce jour, le pays recense plus de 4,8 millions de passoires thermiques à éradiquer.
Certains mettent en doute la réelle rentabilité de ces rénovations, compte tenu du coût des travaux. Qu’en pensez-vous ?
Il est permis de douter, mais on peut souligner qu’avec un coût des énergies en explosion, on gagne forcément en rentabilité.
On ne parle pas souvent des bâtiments vertueux qui ont été fabriqués à l’époque et qui obtiennent toujours d’excellents résultats et sur lequel 1€ investi signifie 50€ d’économisé (source conférence climat octobre2022). Le retour sur investissement ne se fera pas toujours sur la durée qu’on souhaiterait. Nous avons déjà pris du retard et nous en payons les conséquences. Imaginons, il y a dix ans, si on avait rendu obligatoire le fait de mettre du photovoltaïque sur chaque nouvelle construction et une récupération des eaux de pluie. Nous n’aurions pas eu de problème d’eau ou subi la crise énergétique de la même manière.
On donne de la valeur à son patrimoine immobilier sur du long terme et on améliore son confort (1ere motivation des ménages à entreprendre des travaux, enquête ADEME 2017), ce ne sont pas des investissements perdus. La rénovation, La construction, doit être considéré comme un investissement de long terme avec de faible besoin de maintenance et d’entretien. Cela permettra d’obtenir notre indépendance énergétique et de sortir des croyances qu’on nous impose. L’isolation d’un bâtiment doit être considéré comme un investissement et non une charge. Que voulons-nous laisser aux générations futures ? Prenons nos responsabilités.
En tant qu’artisan, constatez-vous un intérêt accru pour la rénovation thermique, grâce à MaPrimeRénov’ ?
On ne doit pas se mentir, Ma prim’rénov est un vrai coup de pouce pour la réalisation de travaux énergétique et facilite l’accès à des matériaux de meilleure qualité au maitre d’ouvrage. Si le confort était la première motivation pour réaliser des travaux en 2017, il y a fort à parier que dans le contexte actuel la première motivation soit devenue économique, et MaPrimeRénov’ peut être un véritable déclencheur, notamment pour les systèmes EnR pour lesquels les montants peuvent atteindre les 11 000 €. Comme toute prime, elle doit rester secondaire à la volonté du maitre d’ouvrage de réaliser les travaux. Attention toutefois à être motivé pour ne pas se faire rattraper par la lourdeur administrative de la réalisation d’un tel dossier...
En 2025, les propriétaires bailleurs ne pourront plus louer les passoires thermiques. Or, seuls 2% des propriétaires qui rénovent leur bâtiment louent leurs biens. Les autres l’occupent. Qu’en pensez-vous ?
Le retard sur la rénovation est important. La marche est plus grande mais nous devons la franchir. Les obligations (plan rénovation énergétique des bâtiments) permettront sur un temps long d’obtenir une amélioration énergétique du parc immobilier pour les propriétaires et locataires. Nous devons arrêter d’agir dans l’urgence et devrons nous projeter sur du long terme, anticiper et planifier les enjeux de demain de manière responsable.
Pour cela, l’Etat doit donner de la visibilité sur son plan action et arrêter de le modifier chaque année au moment du vote de la loi finance... Et il doit se donner les moyens financiers, le budget de MaPrimeRénov’ atteindra à peine les 2.5 milliards d’euros en 2023 (2M€ en 2022), là où les experts s’accordent à dire que pour atteindre les objectifs c’est plutôt de l’ordre de 40 milliards annuel qui seraient nécessaires.
A côté des aides financières, ne faut-il pas améliorer l’accompagnement des propriétaires, en premier lieu, dans le diagnostic de la situation et les travaux à réaliser ?
Beaucoup de choses existent, peut-être trop et on se perd souvent. Les aides changent et ne cessent d’évoluer. Les services de conseil comme celui de l’ANAH sont débordés et manquent de moyens humains, pour répondre à la demande. La complexité des procédures laisse à croire également que tout est fait pour décourager le propriétaire. En tant qu’entrepreneur, on se retrouve à discuter avec des organismes publics tel que l’ANAH qui travaille sous forme de convention avec des organismes privés faisant partie du « réseau associatif national agréé par l'État, reconnue SSIG.
Ce nouveau statut de professionnel de l’accompagnement agréé par les pouvoirs publics « Mon accompagnateur Rénov’ », s’ouvre en 2023 aux entités privées, il y a un risque d’observer des dérives si les contrôles et les sanctions de ces nouveaux acteurs ne sont pas au RDV. Ce qui est sûr, c’est que le propriétaire doit comprendre les enjeux de rénovation, en se faisant accompagner pour qu’il puisse choisir la bonne solution. Les réglementations et diverses obligations devraient à mon sens lui obliger un degré de rénovation qui lui permettra une indépendance énergétique sur du long terme.
Tout n’est pas obligatoire à réaliser en une fois, cela doit s’inscrire sur un plan d’action permettant au propriétaire d’absorber le coût. Louhossoa ne s’est pas fait en un jour…
Le monde professionnel des artisans est-il organisé pour accompagner les propriétaires ?
Le monde professionnel sait s’adapter, se former et s’organiser en fonction des choix souvent politiques qu’on nous impose. Le label RGE permet d’identifier les professionnels reconnus compétents en termes de rénovation énergétique. Nous sommes à ce jour près de 200 000 à s’être formés pour répondre aux exigences du label. Les organisations syndicales sont d’une aide précieuse. Elles facilitent notamment l’accès aux ressources et aux formations. Malheureusement, le cap changeant régulièrement, il n’est pas aisé de s’y retrouver tout le temps.
Avez-vous des idées particulières en la matière ?
L’enjeu est clair, nous souhaitons construire le plus qualitativement possible des bâtiments qui traverseront les générations. La ligne politique doit être claire, ambitieuse sur du long terme. La RE (Réglementation Environnementale) 2020, pour la construction neuve est ambitieuse en la matière.
La rénovation énergétique permettra aux classes les moins aisées d’avoir une indépendance énergétique.
Pour faire simple : plus de logements qui laissent les pauvres dans leur condition de pauvre. Ils doivent bénéficier de conseils, d’aides suffisantes et également de solutions de financement du reste à charge de leurs travaux pour passer à l’action.
Un contrôle sur du moyen terme doit être nécessaire pour savoir si la rénovation correspond aux attentes. La réponse doit venir d’une volonté politique ambitieuse avec un cap sur du long terme. Professionnels, nous sommes prêts et nous incarnons cette volonté de demain.
Les artisans bénéficient-ils de formation sur ce sujet de la rénovation thermique ?
Un artisan apprend, se forme toute sa vie ; il sait s’adapter comme il a toujours fait. Les offres et solutions de formations existent (ex : RGE). Mais pour cela, il faut prendre le temps de se former et ce n’est pas toujours dans les priorités. Pour moi, l’enjeu serait de surtout former les propriétaires et les donneurs d’ordres. Ce sont eux qui décident... Et ensuite de vérifier que le résultat soit à la hauteur des espérances ...
Nous sommes la génération de la transition énergétique.
Article paru dans la revue Lema 232, éditée par EAJ-PNB
A lire sur Calameo : https://www.calameo.com/read/0012969786b12328a003b
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